Attirantes ou dérangeantes, les visions de l'Enfer et du Paradis des artistes plasticiens russes présentées aux 35e Rencontres de la Photographie d'Arles en constituent un des temps forts.

Olga Sviblova, fondatrice de la Maison de la Photographie de Moscou, livre le fil rouge de leurs travaux: "quel est le sens de la vie?"

Cette question, "plus obsédante chez nous, parce que le poète y est toujours plus que le poète et l'artiste plus que l'artiste", dit-elle, est portée à son paroxysme par les photographes Savadov et Kulik et par le collectif AES+F.

A commencer par "Le livre des morts" d'Arsen Savadov, série de mises en scène de cadavres de tous âges, non réclamés, réalisée en une seule journée à la morgue d'un hôpital de Moscou, dans l'esthétique de l'art de la Renaissance.

Ici, un vieillard assis sur une chaise, jambes croisées, lit à un petit enfant blotti contre lui, une histoire que semble écouter un homme, habillé et vu de dos appuyé sur un escabeau. Là, un autre s'est affalé les bras croisés sur une table, un verre vide à sa droite, une coupelle de fruits devant lui. D'autres semblent assoupis comme après un bon repas.

Des objets usuels ont été placés ça et là: une cafetière, un radiateur, des valises, un disque 33 tours, un calendrier, un arrosoir, une râpe à fromage.

"Comme si, explique Olga Sviblova, ces êtres que personne ne semble avoir réclamés, ni dans la vie ni dans la mort, ont été réunis pour une dernière cène qui leur donnerait l'humanité quotidienne qu'ils n'ont peut-être pas eue".

Dans sa série "Underground 2000", Arsen Savadov, 42 ans, évoque Giotto ou Fra Angelico pour peindre et photographier d'étranges compositions réalisées dans d'anciennes galeries de sel en Ukraine, converties en sanatoriums pendant l'ère soviétique. Des anges y volettent en rase-mottes et jouent au ping-pong, des disciples y prient, dînent et dorment comme au Jardin des Oliviers.

Ce n'est pas encore l'Enfer de souterrains peut-être voués à l'enfouissement de déchets nucléaires, ce n'est pas encore le Paradis. Alors, un purgatoire?

Si l'Enfer existe, c'est bien celui de sa série "Donbass, Chocolate", où des mineurs, revêtus de tutus de danseuses, mettent à mal deux grands mythes des années soviétiques: les héros de la mine et du ballet.

"Autrefois, les mineurs vivaient durement mais mangeaient à leur faim et le Ballet du Bolchoi était un des meilleurs au monde. Ce n'est plus le cas. Savadov a voulu symboliser leur déchéance, la mort du cygne, qu'on diffusait à la radio pendant 24heures chaque fois qu'un dignitaire mourrait", explique Olga Sviblova.

Oleg Kulik, 43 ans, a, quant à lui, trouvé le chemin du paradis dans le monde animal, car "seul le renard, à l'instar de l'homme, y tue plus que nécessaire". Après ses performances d'"homme-chien", où nu et aboyant, il mordillait les mollets de spectateurs antipathiques, sa silhouette d'Adam apparaît au côté d'une Eve diaphane dans un Eden coloré, où buffles et hyènes vivent en harmonie se repaissant de salamis poussant aux arbres.

Le meilleur des mondes resterait-il à venir? Le voilà, présenté non sans une pointe d'ironie, par le collectif AES + F: quatre artistes qui prédisent, via des grands formats idéalisés, un avenir glorieux à des enfants beaux et parfaits, qu'il suffirait en somme de cloner dans des agences de mannequins, ou des écoles de ballet. Ce serait alors "Mieux qu'au Paradis", comme le clame une de leurs séries.

vendredi 9 juillet 2004, AFP